dimanche
un peu avant midi
fin de matinée
j'ai appelé mamie Geneviève
c'est Brigitte qui a décroché
elle est avec Mamie depuis quelques temps
elle m'a passé Mamie
on a causé de choses et d'autres
on a parlé du temps qu'il fait
du temps qui reste
on a parlé broderie et tricot
de ces gestes qu'elle retrouve
même si plus lents
on a parlé jardin
on a parlé d'un anniversaire qui arrive
et qu'elle essayera d'y songer
on a parlé de se revoir en janvier
on a parlé un bon quart d'heure
on a raccroché en s'embrassant fort
jusque récemment tout ça était comme acquis
tout ça était normal
jusqu'à ce coup de fil
"Geneviève est hospitalisée"
elle a dit comme ça, Maman
ça a basculé
comme si c'était une surprise
c'était une surprise
on avait beau dire
on avait beau faire
on savait bien
que quatre-vingt quinze ans
c'est pas tout à fait comme vingt ans
on le savait bien
on le savait bien
on ne savait rien
on savait dans nos caboches
que tout ça c'était une chance
on savait parce que tout le monde le sait
c'est une chance de vivre âgé et en bonne santé
et quatre-vingt quinze ans, oui, c'est âgé
demande autour de toi
tout le monde te le dira : c'est âgé
ça nous semblait normal
ça nous semblait pouvoir durer toujours
on ne mesurait pas avec nos tripes
ce que ça pouvait vouloir dire
on ne comprenait pas avec le cœur
ce que ça valait
ce que ça vaut
la vie
ma grand-mère
ce midi en raccrochant
je me suis dit que j'espérais la revoir en janvier
pour la première fois
j'ai su pour de vrai
j'ai su avec mon cœur
que peut être
que sans doute
il n'y en aurait plus beaucoup,
des repas,
des coups de fils
des tartes aux cerises
des confitures
des allers et retours à la boite à livres
des souvenirs de genoux écorchés dans la cour
de cabanes dans les ballots de paille
de faire pousser des haricots
et j'ai senti encore
combien c'est précieux tout ça
je savoure aujourd'hui
ces souvenirs que je peux créer encore
toujours un peu les mêmes
les souvenirs de cette maison
cette cheminée
ce silo à grain
cette grange
ce noisetier
ce potager
ces clapiers à lapins aujourd'hui vides
ce poulailler sans grillage et sans poules
je me souviens de tout ça
c'est mon enfance
c'est une partie de moi
sinon j'ai trouvé que ça avance pas mal les travaux du métro en bas de chez moi